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Non au pouvoir sans imputabilité 
Améliorer les banques canadiennes avant de les laisser croître

 Sixième exposé de position de la CCRC

(mai 1998)


Table of Contents

I. Contexte

II. Fusions et rachats de banques canadiennes : inutiles et malavisés

III. Projets de fusion Banque Royale-Banque de Montréal et CIBC-TD : la vérité derrière les allégations des banquiers

IV. Le système d'imputabilité bancaire américain : un modèle pour le Canada

V. Recommandations de la CCRC : Les critères que le gouvernement devrait appliquer dans l'examen des fusions et des rachats d'institutions financières


«Les banques canadiennes n'évoluent pas dans un contexte déréglementé.  Depuis des années, elles bénéficient de la protection que leur accorde la Loi canadienne sur lexs banques. . .
 Selon moi, il est temps que les banques fassent aussi leur part.»

«Je pense que les grandes institutions ont des devoirs et des responsabilités envers le pays et cela signifie qu'elles ne doivent pas prendre de mesures susceptibles d'entraîner des relocalisations et des pertes d'emplois massives.»

I.  Contexte
Cet exposé de position de la CCRC, le sixième de la série, répond directement ou indirectement (en se référant aux cinq autres exposés de position de la coalition) aux six questions posées dans le document produit en juin 1997 par le Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers au Canada. Ce document répond aussi au «Rapport du groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers au Canada du 11 juillet 1997 produit à la demande du Secrétariat d'État (Institutions financières internationales)» et aux consultations du Bureau de la concurrence sur l'avant-projet de réglementation des fusions appliqué aux fusions bancaires.

L'exposé rappelle les protections et privilèges considérables dont ont joui les grandes banques à charte canadiennes pendant plus de trente ans. Ces protections et privilèges ont assuré aux banques une position dominante sur le marché ainsi que des profits d'envergure mondiale; de plus, le gouvernement fédéral a acquiescé à presque toutes les demandes des banques désireuses de s'introduire dans d'autres secteurs de l'industrie des services financiers (p. ex. fiducie, placements, propriété de filiales de compagnies d'assurance).

En rappelant de nombreux faits tirés d'autres domaines de juridiction et la piètre qualité des services assurés par les banques à de nombreux Canadiens, l'exposé réfute les multiples fausses allégations selon lesquelles les fusions bancaires sont nécessaires et souhaitables au Canada. L'article fournit aussi en détail la preuve documentée et substantielle que les fusions proposées de la Banque Royale et de la Banque de Montréal d'une part, et de la CIBC et de la Banque Toronto-Dominion d'autre part, ne servent pas l'intérêt public et qu'elles devraient être interdites.

De plus, l'article expose les lacunes considérables dans le domaine de la divulgation des éléments d'information clés nécessaires à un examen approfondi du rendement des banques canadiennes dans le domaine des prêts, des placements, des services et dans la satisfaction des besoins des collectivités du pays. Finalement, en se référant à un système qui a fait ses preuves aux États-Unis depuis vingt ans, l'exposé formule 16 recommandations qui assureront que nos banques servent mieux tous les Canadiens et qui veilleront à ne pas les laisser croître dans l'avenir si ces fusions ne sont pas dans l'intérêt public.

(a) Ce que les Canadiens font pour leurs banques
Les cinq plus grandes banques canadiennes sont les entreprises les plus importantes du pays (calculé d'après l'importance de leurs actifs, par ordre décroissant : la Banque Royale, la Banque CIBC, la Banque de Montréal, la Banque de Nouvelle-Écosse et la Banque Toronto Dominion). Ces actifs comprennent les prêts que les emprunteurs doivent rembourser, les obligations d'État, les actions dans d'autres entreprises, des biens immobiliers, des propriétés, etc.

Cependant, à la base des actifs des banques se trouve l'argent déposé par plus de 20 millions de Canadiens. Selon l'Association des banquiers canadiens, les comptes de dépôts individuels des Canadiens constituent la plus importante catégorie de dépôts des banques, tant par leur nombre que par le total des sommes déposées. Quand on combine les dépôts individuels et les dépôts des entreprises, on en arrive à la somme de 760 milliards $, ce qui représente 93 % du capital engagé total des cinq grandes banques à la fin d'avril 1997. Par contraste, les placements des actionnaires dans les banques ne totalisent que 46 milliards $.

Sans le capital fourni par ces dépôts, les cinq plus grandes banques n'auraient pu, à la fin de l'année 1996, accumuler les éléments d'actif suivants :

Également, sans le capital fourni par les déposants, les cinq grandes banques n'auraient pas engrangé en 1996 les profits suivants :

(b) Ce que les gouvernements ont fait pour les banques : des décennies de protection et de privilèges
Le Canada possède un des secteurs bancaires les plus concentrés au monde. Nous avons deux fois moins de banques que le Japon, cinq fois moins que l'Allemagne, sept fois moins que la France, huit fois moins que la Grande-Bretagne ; les États-Unis, quant à eux, ont 200 fois plus de banques que le Canada.

Si notre secteur bancaire est si concentré c'est parce que nos banques ont, depuis 1967, joui d'une protection juridique les mettant à l'abri de la concurrence des banques étrangères ; des coûts très élevés constituent une barrière très efficace et dissuadent les nouvelles banques de s'établir. Jusqu'à tout récemment, il y avait une limite de 10 % et de 25 % respectivement sur la propriété individuelle ou collective des compagnies d'assurance, des sociétés de prêt et des sociétés de fiducie réglementées par le gouvernement fédéral canadien ; une limite de 25 % sur la propriété collective étrangère des banques à charte et un plafond de 12 % sur la taille du secteur bancaire étranger au Canada. En conséquence de cela, on ne trouve qu'une cinquantaine de banques étrangères au pays. Même si elles ne font plus face à ces limites, les banques étrangères doivent encore rassembler des millions en capital pour ouvrir une filiale, obtenir l'approbation du Ministère des Finances pour établir une succursale, et aucune personne ou organisation ne peut posséder plus de 10 % d'une banque à charte canadienne (c'est-à-dire les cinq grandes banques et quelques autres, plus petites).

En raison des obstacles posés à leur implantation au pays, presque toutes les banques étrangères installées au Canada ne fonctionnent que comme banques de placement spécialisées dans le financement des grandes entreprises. Comme leurs représentants l'ont affirmé dans le numéro de mai-juin 1996 de la revue Canadian Banker, les banques étrangères ont le sentiment que les coûts associés à la tentative de concurrencer directement les banques canadiennes dans le domaine des prêts et des services aux individus et aux petites entreprises sont tellement élevés qu'un effort dans ce sens serait vain. Cette situation a peu changé malgré l'entente de l'OMC sur les services financiers conclue en décembre 1997 (Voir les détails plus loin à la section II (a) intitulée La concurrence à l'échelle mondiale ne représente pas de menace, malgré les dires des banques).

Dans le domaine des activités de prêt et de placement, les grandes banques canadiennes jouissent du privilège de rôle clé avec la bénédiction du gouvernement dans la création de la masse monétaire. Comme dans bien d'autres domaines, ce rôle a été subventionné au cours des dernières années grâce aux garanties accordées par le gouvernement fédéral dans le cas de défaut de paiement des petites entreprises en vertu de la Loi sur les prêts aux petites entreprises (LPPE). Depuis sa promulgation en 1961, plus de 493 000 prêts totalisant plus de 20 milliards de dollars ont été accordés; le taux de défaut de paiement actuel est d'environ 5,75 %. Depuis 1992, les coûts totaux pour le gouvernement fédéral en garanties de défauts de paiement en vertu de la LPPE ont été de 258 millions de dollars (soit 2,5 % du montant des prêts), selon le Vérificateur général qui a critiqué le faible rapport coût-emplois créés du programme. Un programme semblable (connu sous le nom de Paillé), en place au Québec depuis décembre 1994, aurait entraîné des coûts totaux de 116 millions de dollars pour le gouvernement en garanties contre les défauts de paiement auprès des banques et des caisses populaires, surtout à cause du laxisme des mesures prises pour s'assurer que les institutions financières prêtaient à des entreprises viables.

En vertu du programme de la SBLA, le gouvernement garantit présentement jusqu'à 15 milliards en prêt accordés par les banques aux petites entreprises, ce qui équivaut à environ 45 % du volume des prêts aux petites entreprises à tout moment. Même si ces garanties gouvernementales ont également aidé plusieurs petites entreprises en faisant en sorte que les banques leur prêtaient très facilement, la question demeure de savoir si la garantie est nécessaire, et si les banques ne devraient tout simplement pas prêter aux petites entreprises dans le cadre de leurs activités de prêt générales. Il est très clair que les banques n'ont pas fait la preuve que le fait de prêter aux petites entreprises présente davantage de risques que de prêter aux grandes entreprises (Voir les détails plus loin à la section II (c) intitulée Pourquoi laisser nos banques grossir alors qu'elles assurent encore de mauvais services?).

(c) Les grandes banques à charte : produit des protections et privilèges
Grâce à des décennies de protection contre la concurrence, les gouvernements fédéraux du Canada ont aidé nos banques à atteindre la taille qu'elles ont maintenant. Les cinq grandes banques canadiennes sont les plus importantes entreprises canadiennes (en considérant la valeur totale des actifs, on a, par ordre de taille au terme de l'exercice financier de 1997, la Banque Royale, la Banque CIBC, la Banque de Montréal, la Banque Scotia, la Banque Toronto-Dominion). Les actifs de ces banques comprennent les prêts que les emprunteurs doivent rembourser aux banques, les obligations du gouvernement, les actions détenues dans d'autres sociétés, les édifices, les propriétés, etc.

Une comparaison entre les actifs, dépôts et prêts totaux des cinq grandes banques d'une part et les revenus totaux des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux canadiens d'autre part nous donne une idée de la taille des banques du pays. Les actifs de toutes les banques, les dépôts de la Banque Royale et le montant des prêts de la Banque Royale et de la Banque CIBC dépassent les revenus annuels du gouvernement fédéral. Et les actifs et dépôts de trois des cinq grandes banques dépassent les revenus annuels de chacune des provinces et territoires, comme le font voir les chiffres suivants (voir CHART 1):

Le gouvernement fédéral a également permis aux cinq grandes banques nationales d'étendre leurs activités à presque tous les domaines de l'industrie des services financiers, de sorte qu'elles contrôlent maintenant plusieurs domaines de cette industrie, comme en font foi les chiffres suivants :

Un montant total de 4,5 milliards de dollars venant des contribuables a facilité le rachat par les banques de plusieurs sociétés de fiducie en faillite au cours des dernières années (notamment en 1991-92), de sorte que les banques détiennent maintenant plus de 15 sociétés de fiducie et de prêts (la seule grande société de fiducie indépendante qui reste au pays est la Canada Trust). Entre 1984 et 1993, le total des actifs des sociétés de fiducie et de prêts associées aux banques est passé de 36 milliards à 150 milliards de dollars. Dans un cas, les contribuables (par l'intermédiaire de la Société d'assurance-dépôts du Canada (SADC)) ont garanti le rachat de la Central Guaranty Trust par la Banque Toronto-Dominion au coût de 1 milliard de dollars.

De plus, même si cela ne fait que quelques années que le gouvernement fédéral a permis l'accès illimité aux banques à l'industrie des fonds communs de placement, la liste des 10 plus grandes sociétés de fonds communs de placement au Canada comprend déjà cinq banques, et celles-ci contrôlent 30 % des actifs de ce secteur.

Dans le domaine de l'accès au capital pour l'entreprise, les banques sont de loin la principale source de prêt et d'autres formes de crédit (voir le tableau plus loin). Ainsi, à la fin de septembre 1997,

Par contraste, les prêts et les investissements dans la petite entreprise provenant de toutes les institutions financières autres que les six grandes banques ne s'élèvent qu'à 36 % du volume total des prêts consentis par les banques aux entreprises (175,1 milliards), et presque le tiers de ce montant (environ 58 milliards) provient de sociétés de fiducie qui sont la propriété des banques. Les programmes de prêts et de subventions du gouvernement fédéral, qui s'élèvent au plus à 4,5 milliards annuellement, et le capital de risque (5 milliards) ne suffisent pas à combler le fossé laissé par les banques qui ne répondent pas aux besoins en capital de la petite et moyenne entreprise.

Un rapport du Conference Board du Canada ("What's New in Debt Financing for Small and Medium-Sized Entreprises" par Pierre Vanasse (1997)) a grandement sous-estimé le financement total accordé par les banques en prenant les données de Statistique Canada plutôt que les chiffres fournis par les banques elles-mêmes. Statistique Canada indiquait comme financement total des entreprises par les banques nationales seulement 159,54 milliards, ce qui est moins de la moitié du montant de 485 milliards divulgué par les banques. Étant donné que 76 % (543,86 milliards) de la dette totale des entreprises (660,96 milliards) est contrôlée par les banques ou leurs filiales que sont les sociétés de fiducie, et que 94,3 % des clients des six grandes banques ayant des prêts commerciaux sont des entreprises petites et moyennes ayant des prêts de moins de 1 million de dollars, l'évaluation faite par le Conference Board du Canada selon laquelle les banques ne fournissent que 50 % du financement accordé aux petites et moyennes entreprises devrait être considérée au mieux comme une estimation inexacte et prudente à l'excès.

Il est clair que le volume total des fonds d'origine non bancaire à la disposition des entreprises en général, et des petites entreprises en particulier, créatrices d'emploi, désireuses de prendre leur envol ou de prendre de l'expansion, est minuscule en comparaison des ressources dont disposent les banques à charte.  Pour que les petites entreprises soient concurrentielles à l'échelle planétaire et qu'elles continuent de créer de l'emploi, les banques canadiennes doivent rendre des comptes afin qu'on puisse s'assurer qu'elles sont au service des besoins de ce secteur clé de l'économie canadienne.

(d) Profits bancaires d'envergure mondiale : conséquence des protections et privilèges
Ces privilèges et protections ont aidé les cinq grandes banques canadiennes à atteindre des niveaux records de profits au cours des trois dernières années. En 1995, les cinq grandes banques ont compté parmi les sept sociétés aux profits les plus élevés au Canada, leurs profits ont plus que doublé depuis 1993 et, en 1996, la Banque Royale a enregistré les bénéfices les plus élevés jamais enregistrés par une entreprise canadienne, soit 1,43 milliards $. En 1997, les profits des banques ont augmenté considérablement, pour atteindre 7,5 milliards $, soit 19 % de plus que par rapport à 1996. La Banque Royale a brisé son propre record avec des bénéfices dépassant les 1,68 milliard $ ; la Banque CIBC et la Banque de Nouvelle-Écosse ont enregistré les deuxième et troisième plus importants profits jamais réalisés, soit respectivement 1,55 milliard $ et 1,5 milliard $.

En 1996, trois des cinq grandes banques canadiennes se sont rangées parmi les banques les plus rentables au monde, comme nous le voyons (Source : Fortune, 4 août 1997) :

En 1996, ces trois banques canadiennes ont été plus rentables que la plus grande banque du monde, la Banque de Tokyo-Mitsubishi (du Japon), et encore plus rentables que les cinquième (GAN de France), sixième (Banque industrielle du Japon), huitième (Banque Sanwa du Japon) et dixième (Crédit Suisse) banques les plus grandes au monde (leur taille étant basée sur les revenus nets).

Vu que les niveaux de profits des trois banques canadiennes croissaient en 1997, il est fort probable qu'elles se classeront encore plus haut en termes de rentabilité comparativement aux autres banques mondiales. Et comme leurs résultats pour le premier et le deuxième trimestres de 1998 révèlent des profits encore plus élevés, il semble qu'elles se dirigent vers un classement parmi les 10 banques les plus rentables au monde.

(e) Les protections et privilèges signifient davantage de responsabilités

«Si vous regardez l'histoire de ce pays, vous constaterez qu'il y avait une banque dans chaque petite ville. La plupart des petites villes se battent pour conserver leur succursale. De toute évidence, le secteur financier pénètre chaque partie de votre vie, de votre crédit à votre carte de crédit.»

Les banquiers se plaisent à considérer les banques canadiennes comme des entreprises privées qui devraient donner priorité aux intérêts des actionnaires, les employés et clients venant en second et troisième lieux.

Toutefois, comme les banques ne seraient pas aussi grandes ni aussi rentables qu'elles le sont sans les dépôts individuels des Canadiens et les privilèges et protections accordés par les gouvernements canadiens, il y aurait lieu de considérer les banques bien plus comme des sociétés de services publics.

Les sociétés de services publics, comme les compagnies d'hydroélectricité, d'eau, de téléphone, de câble, se sont vues accorder l'avantage considérable de la quasi-exclusivité de la production ou de l'exploitation d'une ressource naturelle. De façon analogue, on a consenti aux banques le privilège considérable de jouer le rôle le plus important en générant et en exploitant une ressource créée par l'homme, à savoir l'argent. Les sociétés de services publics tout comme les banques sont en position de fiducie à but non lucratif, responsables des ressources qu'elles gèrent.

Les résultats d'une enquête menée à l'échelle nationale par POLLARA à la fin de 1997 (commandée par le Centre pour la promotion de l'intérêt public et l'Association des consommateurs du Canada) confirment que les services bancaires de base sont considérés par les Canadiens comme des services essentiels, au même titre que l'eau et l'électricité. En réponse à une question portant sur la nécessité de disposer d'un compte bancaire, 94 % des Canadiens ont affirmé qu'il était nécessaire d'avoir un compte d'épargne ou un compte de chèques pour fonctionner au Canada. En réponse à une autre question, une forte majorité (68 %) étaient d'avis que le gouvernement devrait s'engager davantage dans la réglementation du secteur bancaire afin de protéger les consommateurs (comparativement à 22 % qui estiment que la réglementation devrait être assouplie).

La décision en 1967 de protéger les banques canadiennes de la concurrence étrangère a été prise car on croyait qu'elles étaient le mieux en mesure de desservir le marché national. Même si cette décision a surtout eu comme effet de donner aux banques le monopole de la prestation des services bancaires, on n'a pas exigé d'elles qu'elles satisfassent à quelle que norme que ce soit ni exigé formellement qu'elles soient au service des Canadiens et de l'économie canadienne. Par contraste, les sociétés de services publics sont tenues de respecter certaines normes, d'accorder leurs services à la grandeur du pays; de plus, chaque fois qu'elles souhaitent augmenter les tarifs imposés à la clientèle, elles doivent fournir des statistiques très détaillées sur leurs coûts et revenus.

Certains commentateurs, dont bien entendu les banques, avancent que si les consommateurs sont insatisfaits des banques, ils ont accès à d'autres services bancaires, y compris l'accès au capital. Cet argument fait fi du fait que dans le système financier canadien, les banques sont la principale source d'intermédiation financière, conformément à ce que nous avons exposé plus haut sur la mainmise qu'exerce les banques sur les différents secteurs de l'industrie des services financiers.

Puisque les banques jouissent de protections et privilèges considérables depuis des décennies, qui leur ont permis d'accumuler des actifs importants et de prendre le contrôle du marché des services financiers au Canada, et qui les place en position de sociétés d'intérêt public, celles-ci devraient se voir imposer des normes plus élevées dans de nombreux domaines d'activité que celles qui touchent d'autres entreprises.

II. Fusions et rachats de banques canadiennes : inutiles et malavisés

(a) La concurrence à l'échelle mondiale ne représente pas de menace, malgré les dires des banques

«Aucun pays au monde n'a laissé les banques étrangères s'installer et déployer un réseau développé de succursales à l'extérieur des grands centres urbains.»

Les banques justifient le besoin d'étendre leur pouvoir et de procéder à des fusions afin de relever le défi de la concurrence mondiale. Cependant, comme nous le disions plus haut, les banques étrangères ont été exclues du marché canadien au niveau du détail (de même qu'elles ont été soumises à des restrictions strictes dans le développement de portefeuilles de prêts aux petites entreprises).
L'offre du Canada dans les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les services financiers (finalisées en décembre 1997) prolonge la protection historique dont ont joui les banques du fait qu'il était interdit aux banques étrangères d'accepter des dépôts inférieurs à 150 000 $. Cette position a été soutenue par les grandes banques canadiennes, conformément à leurs efforts dans le passé en vue de protéger leur marché intérieur, et elle sera mise en Ïuvre par une législation dont l'introduction est attendue à l'automne 1998 et qui sera appliquée avant l'échéance de l'entente de l'OMC en juin 1999.

Quel sera le niveau de protection accordé à nos banques en vertu de l'entente de l'OMC? En bref, 85 % des clients commerciaux et individuels des banques ont des dépôts inférieurs à 150 000 $ dans une institution financière, ce qui signifie que la grande majorité des clients bancaires ne pourront pas se tourner vers les banques étrangères, malgré l'entente de l'OMC.  Par conséquent, la plupart des banques étrangères ne tenteront même pas de s'établir au Canada, car elles feraient face à des frais de démarrage élevés et qu'elles devraient s'en remettre à un petit pourcentage de déposants pour réaliser des profits. Les frais de démarrage élevés comprendront, au delà de tous les coûts associés à l'établissement de succursales ou de bureaux de ventes, l'acquisition d'information sur le marché, la mise au point et l'essai de produits et services, l'installation de l'équipement, l'embauche et la formation d'employés et la mise sur pied d'un système de distribution.

La conclusion que les banques étrangères n'entreront pas sur le marché bancaire de détail canadien, même en vertu de l'entente de l'OMC, a été confirmée par les mesures prises par les grandes banques américaines depuis la ratification de l'Accord sur le libre-échange nord-américain (ALENA). Même si tous les obstacles posés à lentrée des banques ont été amenuisés en vertu de l'ALENA, aucune de ces banques n'a vraiment pris sa place sur le marché canadien.

Les activités des autres banques étrangères confirment aussi que les barrières s'opposant à l'entrée de banques étrangères au Canada ont été et demeurent très élevées. Il y a présentement moins de banques étrangères installées au Canada (43) qu'il n'y en avait en 1987 (on en comptait alors 59), et leurs actifs combinés ne s'élèvent qu'à 92 milliards de dollars, montant insignifiant en comparaison des 1 100 milliards d'actifs des six plus grandes banques canadiennes. Selon le Conference Board du Canada, dans le domaine clé des prêts aux entreprises, la part des banques étrangères a chuté de 11 % qu'elle était en 1994 à 7,3 % en 1996 (dans le financement des petites et moyennes entreprises, la part des banques étrangères a diminué de 5,1 % à 2,8 % durant la même période); pendant ce temps, nos banques nationales voyaient leur part de marché augmenter. La seule banque étrangère disposant d'un réseau de succursales, la Banque de Hong Kong du Canada n'a que 24 milliards d'actifs (la banque suivante n'en a que 8 milliards) et ne dispose de succursales que parce qu'elle a racheté deux banques canadiennes en faillite (voir le tableau plus loin).

Et même si les banques canadiennes évoquent le spectre des transactions bancaires électroniques qui menacerait leur existence, les deux banques qui se sont installées sur notre marché ont eu un succès très limité. La ING Direct, par exemple, n'a que 60 000 clients canadiens (sur un marché total de 20 millions de clients canadiens) et la Wells Fargo & Co n'offre que des prêts de moins de 100 000 $ par l'Internet aux petites entreprises qui existent depuis au moins trois ans (ce qui exclut d'emblée de nombreuses petites entreprises).
De plus, si le gouvernement fédéral permettait aux banques étrangères d'accepter des dépôts de moins de 150 000 $, cette position serait difficile et causerait des problèmes aux consommateurs en vertu du système de la Société d'assurance-dépôts du Canada. Pourquoi? En vertu de l'entente de l'OMC, les banques étrangères auront le droit d'établir des succursales de leurs activités domestiques au Canada. Les banques-mères, dans les pays respectifs, ne seront pas soumises à la réglementation par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) fédéral ou couvertes par le système de la Société d'assurance-dépôts du Canada. Par conséquent, si une banque-mère devenait insolvable, le BSIF ne serait pas en mesure de participer au renflouement de la banque, les clients de la succursale établie au Canada ne seraient pas protégés par l'assurance-dépôts et perdraient leurs dépôts.

Par conséquent, il est très peu probable que le gouvernement fédéral permette un jour aux banques étrangères d'accepter des dépôts inférieurs à 150 000 $, ce qui signifie que notre grand marché bancaire national demeurera toujours protégé, car 85 % des consommateurs financiers devront transiger avec nos banques.

Comme l'affirmait Paul Martin, (voir la citation en ouverture de la présente section), la concurrence à l'échelle mondiale ne représente tout simplement pas de menace pour notre marché bancaire national, lequel est très rentable. Le fait que les présidents directeurs généraux des grandes banques canadiennes continuent d'affirmer faussement que la concurrence étrangère représente une menace dénote leur manque d'honnêteté et révèle qu'ils sont prêts à dire n'importe quoi pour obtenir ce qu'ils désirent.

(b) Nos banques sont suffisamment grandes pour répondre à tous nos besoins
Comme nous l'avons établi plus haut, 85 % des clients commerciaux et individuels des banques possèdent des dépôts inférieurs à 150 000 $ dans les institutions financières.

Pourquoi est-ce que le montant déposé dans les banques par la grande majorité des personnes et des entreprises canadiennes est-il relativement faible (inférieur à 150 000 $)? D'abord, notre économie est dominée par la petite et moyenne entreprise. Selon le gouvernement canadien, 98 % de toutes les entreprises comptent moins de 50 employés (88 % en ont moins de cinq), 53 % de tous les Canadiens travaillant dans le secteur privé sont travailleurs autonomes ou employés par une entreprise occupant moins de 100 employés, les petites entreprises sont à l'origine de plus de 80 % de toute la croissance de l'emploi au cours des 15 dernières années, et les petites entreprises ont créé 38 % de la croissance du produit intérieur brut en 1991.

On s'accorde pour dire, en se fondant sur des enquêtes menées par l'Association des banquiers canadiens (ABC) et sur la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) que les petites entreprises ont besoin de prêts atteignant tout au plus de 250 000 $ (pour les entreprises de taille moyenne, ce chiffre s'élève à 1 million). En affirmation de cette constatation et des statistiques du gouvernement canadien sur la taille de la plupart des entreprises au Canada, le rapport de l'ABC sur les prêts aux entreprises montre que les sept plus grandes banques canadiennes (au 30 septembre 1997, les statistiques les plus récentes datant du 1er mai 1998), avaient les portefeuilles de prêts suivants :

Prêts autorisés inférieurs à 25 000 $ 311 156 (40,6 %
de la clientèle totale)
Prêts autorisés inférieurs à 100 000 $ 505 007 (70,1 %)
Prêts autorisés inférieurs à 250 000 $ 653 893 (85,4 %)
Prêts autorisés inférieurs à 1 million $ 76 106 (9,9 %)
Prêts autorisés de plus de 1 million $ 35 846 (4,7 %)
Nombre total de clients commerciaux 765 305
clients
(100 %)

Voici le montant médian des prêts accordés à ces clients dans les différentes catégories :

Prêts autorisés inférieurs à 25 000 $ 7 941 $
Prêts autorisés inférieurs à 100 000 $ 28 198 $
Prêts autorisés inférieurs à 250 000 $ 49 549 $
Prêts autorisés inférieurs à 1 million $ 466 323 $
Prêts autorisés de plus de 1 million $ 12 051 191 $
Taille médiane du prêt accordé à tous les clients commerciaux 653 125 $

(Source : Statistiques de l'ABC sur les prêts aux entreprises, état au 30 septembre 1997)

Comme ces chiffres le font voir clairement, toutes nos banques, même les plus petites, sont suffisamment grandes pour répondre aux besoins de toutes les entreprises canadiennes.

Certains se demanderont ce qu'il en est des grandes entreprises, qui ont droit à des prêts de plus de 10 millions de dollars. Dans la plupart des cas, de tels prêts sont répartis entre les banques (c'est ce qu'on appelle le crédit consortial ou cartellaire) afin de partager le risque pour les banques, de sorte qu'encore ici, nos banques sont suffisamment grandes pour satisfaire également ces besoins. La Banque Scotia, la quatrième en importance au Canada, se targuait récemment dans une annonce d'une page passée dans le Globe and Mail qu'elle était devenue la dixième banque en importance au monde dans le domaine du crédit consortial aux entreprises. Cette performance montre qu'aucune de nos banques n'a besoin de devenir plus grande pour être en mesure de faire face à la concurrence des autres banques sur la planète dans quelque domaine que ce soit, y compris celui du financement des entreprises.

Également, il importe de noter qu'en moyenne, les grandes entreprises n'utilisent que 29 % des crédits consentis. Ceci signifie qu'une entreprise avec un prêt (ou marge de crédit) de 10 millions n'utilise que 2,9 millions à un moment ou à un autre, ce qui rend clair que toutes nos banques sont suffisamment grandes pour répondre aux besoins de tous les Canadiens. Par contraste, pour les petites entreprises jouissant d'un crédit de moins de 250 000 $, le taux d'utilisation est habituellement de 70 % du montant total consenti. Étant donné que les grandes entreprises n'utilisent pas la majeure partie du crédit qui leur est accordé par les banques, il est évident que nos banques sont facilement en mesure de répondre aux besoins des grandes entreprises canadiennes et qu'aussi, elles pourraient aisément déplacer une part plus importante des crédits consentis en direction des petites entreprises sans priver les grandes entreprises de quelque crédit que ce soit.

(c) Pourquoi laisser nos banques grossir alors qu'elles assurent encore de mauvais services?
Certains commentateurs ont avancé que les Canadiens ont été bien servis par leurs institutions financières. Toutefois, rien ne porte à croire que les consommateurs sont satisfaits du niveau actuel des services bancaires. Les renseignements dont nous disposons donnent à penser que les petites entreprises et les consommateurs ont éprouvé beaucoup de difficultés avec les banques, et que les banques ont refusé au cours des dernières années de divulguer de l'information qui risquerait de réfuter ces faits ou de mettre sur pied un service de traitement des réclamations adéquat.

Ainsi, si l'on compare des études menées par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) avec celles de son équivalent américain, la National Federation of Independent Business (NFIB), la conclusion inévitable qui s'impose est que les petites entreprises américaines ont un accès plus facile au capital que celles d'ici. Selon les sondages de la FCEI, les petites entreprises rangent la question de l'accès au capital parmi leurs dix principales sources de préoccupation, et le nombre de petites entreprises signalant ce type de problème a doublé entre 1990 et 1996, passant de 20 % à 40 % (dans le sondage de juin 1997, la question de l'accès au capital occupait le 8e rang). Par contraste, d'après les sondages menés par la NFIB américaine au cours des dix dernières années, cette question n'a jamais occupé plus qu'une 43e place (dans le sondage de 1996, elle occupait le 63e rang).

Une comparaison des autorisations de crédit aux petites entreprises entre le 30 septembre 1996 et le 30 septembre 1997 révèle que le soutien à la petite entreprise a diminué au cours de cette période de deux ans, de la façon suivante :

De plus, d'autres statistiques fournies présentement par les banques révèlent qu'entre le 31 décembre 1995 et le 30 septembre 1997, on observe des diminutions en ce qui a trait aux prêts accordés dans certaines régions :

Dans l'ensemble, au 30 septembre 1997, aucune des sept grandes banques canadiennes n'a prêté plus de 10 % de son volume total d'argent prêté à des petites entreprises (prêts de moins de 250 000 $) et aucune n'a prêté plus de 20 % de ce volume aux petites et moyennes entreprises (prêts de moins de 1 million de dollars).

Également, par contraste avec les affirmations des banques selon lesquelles prêter aux petites entreprises est plus risqué que de prêter aux grandes entreprises, les chiffres fournis par les banques elles-mêmes montrent que pour l'année où celles-ci ont divulgué des statistiques, elles ont perdu plus d'argent avec les grandes entreprises qu'avec les petites, comme le démontre l'analyse suivante :

Les résumés des rapports de l'ABC ne fournissent également pas d'analyse des changements dans les pratiques de prêts aux grandes entreprises. Pourquoi? Une des raisons pourrait être que ces changements contredisent les allégations des banques selon lesquelles celles-ci se concentreraient sur les besoins en capital du secteur de la petite entreprise. Une simple analyse des statistiques de l'ABC entre le 30 septembre 1995 et le 30 septembre 1997 révèle que les prêts aux grandes entreprises ont connu une croissance disproportionnée pendant cette période. De l'augmentation de 99,8 milliards des crédits totaux consentis aux entreprises pendant cette période de deux ans, 81,2 milliards (81,3 %) l'ont été en tranches dépassant les 5 millions (cette catégorie de prêts a connu une croissance de 16,74 %). Cependant, pendant la même période, le nombre de clients jouissant d'un crédit dépassant les 5 millions de dollars a chuté de 13,66 % (de 11 477 à 9 909).

Par conséquent, au 30 septembre 1997, les clients ayant des autorisations de crédit dépassant les 5 millions de dollars représentaient 1,29 % du nombre total de clients, mais ceux-ci recevaient 86,42 % des crédits consentis (comparativement à 1,72 % du nombre total de clients et 74,57 % des crédits totaux accordés au 30 septembre 1995). Tout ceci revient à dire que les banques ont prêté des sommes plus considérables à un nombre plus restreint de clients commerciaux au cours de la période de deux ans, tandis que, comme nous en faisons état plus haut, la proportion de crédit consenti aux petites et moyennes entreprises décroissait.

Ces statistiques montrent clairement que les grandes banques échouent dans leur rôle d'intermédiaires financiers parce qu'elles ne placent pas le capital là où il serait le plus susceptible de créer de l'emploi et d'avoir un impact positif sur l'économie canadienne.

Des enquêtes menées en 1996 et 1997 par l'Institut national de la qualité auprès de plus de 8 000 Canadiens au sujet du degré de satisfaction des consommateurs avec 21 secteurs de l'industrie ont permis de constater que les banques se classaient parmi les cinq dernières industries pendant ces deux années. Cet institut est une organisation indépendante à but non lucratif vouée à l'information du public, et qui mène des vérifications et certifications d'entreprises et de gouvernements au sujet de la qualité des services.

Sur une question en particulier, celle des frais de services et des taux d'intérêt sur les cartes de crédit, les consommateurs de tout le Canada ont exprimé la crainte d'avoir été floués pendant plusieurs années. Même si plusieurs directeurs de banque ont reconnu que cette question était une des principales sources de préoccupation de leurs clients, les banques n'ont pas encore révélé jusqu'à maintenant d'information prouvant qu'elles n'escroquent pas leurs clients dans ce domaine d'activité (p. ex. en divulguant leurs marges de profit pour ces secteurs et en démontrant que ces marges sont raisonnables). Le gouvernement fédéral n'a pas non plus exigé des banques qu'elles révèlent ces informations. Sans ces données, comment déterminer si les banques assurent des services à un coût juste et raisonnable?

L'accès aux services bancaires de base est une autre source de préoccupation au Canada. On oublie, à travers le battage publicitaire sur les services bancaires téléphoniques ou virtuels, qu'un important groupe de Canadiens a été complètement laissé de côté : les 400 000 adultes au moins qui ne disposent pas d'un compte de banque. Les enquêtes montrent qu'une des principales causes du problème est que les banques exigent, pour l'ouverture d'un compte ou pour l'encaissement d'un chèque (même les chèques émis par l'État), des pièces d'identité dont les personnes à faible revenu sont souvent dépourvues. Cependant, une enquête menée en octobre 1997 par la Coalition canadienne pour le réinvestissement communautaire (CCRC) auprès de succursales bancaires a révélé que cinq de nos six plus grandes banques exigeaient toujours pour l'ouverture d'un compte une pièce d'identité avec photo, un solde minimum sur le compte ainsi qu'un emploi, trois exigences qui sont en contravention de l'entente conclue en février 1997 (voir les détails dans le deuxième exposé de position de la CCRC Accès aux services bancaires de base : garantir le droit à ces services essentiels).

Également, étant donné les coûts croissants des services téléphoniques, les coûts importants associés à l'achat et au fonctionnement d'un ordinateur et les coûts du transport public, il importe de noter le fait que si les services en succursale ne sont pas offerts dans de nombreux quartiers et petites villes du pays, beaucoup de personnes (notamment les personnes à faible revenu) font toujours face à d'importants obstacles aux services bancaires, même si les banques laissent tomber l'exigence des pièces d'identité qu'elles posent actuellement au moment de l'ouverture d'un compte.

Dans le domaine du traitement des réclamations, les banques ne divulguent pas dans leurs rapports annuels le nombre de plaintes reçues. Elles disposent d'un bureau d'ombudsmans bancaires, lesquels sont choisis, payés et dirigés par les banques; aucun d'entre eux ne peut promulguer de règle qui contraindrait les banques de quelque façon que ce soit. Par contraste, en Australie et en Grande-Bretagne, les ombudsmans sont indépendants et peuvent faire des règlements exécutoires concernant les plaintes (voir les détails dans le premier exposé de position de la CCRC intitulé Les ombudsmans bancaires : pourquoi ils doivent être indépendants).

De toute évidence, pour être en mesure de juger du niveau actuel des services assurés par les banques aux Canadiens, nous avons besoin d'un système indépendant et efficace pour recevoir et traiter les plaintes des consommateurs. Cependant, s'il faut se fier aux données disponibles, les banques fournissent des services de très piètre qualité et ne réussissent pas à répondre aux besoins de nombreux Canadiens. Il va de soi que nous ne devons pas laisser grandir les banques si elles ne servent pas les Canadiens bien maintenant.

(d) Les banques les plus grandes ne sont pas meilleures

«Je trouve difficile de comprendre comment une banque plus grande sera plus productive et offrira un meilleur service à ses clients.»

«Il n'est pas du tout prouvé que la grande taille des banques profiterait aux consommateurs Canadiens.»

Toutes les données à notre disposition présentement montrent que les banques plus grandes assurent des services de moins bonne qualité à leurs clients, notamment aux petites entreprises et aux personnes à faible revenu (qui au Canada constituent jusqu'à 85 % de la clientèle bancaire). Également, au chapitre de la promotion des femmes aux échelons supérieurs de la hiérarchie, les cinq grandes banques présentent un dossier pire que les institutions financières moins importantes (The Globe and Mail, 24 avril 1988).

Des études américaines ont permis de constater que les fusions ont entraîné une hausse des frais bancaires, la fermeture de succursales et une réduction des services aux consommateurs. La revue Consumer Reports a signalé en mars 1996 que suite à des fusions bancaires aux États-Unis, plus de 100 nouveaux types de frais bancaires ont été créés dans ce pays, pendant que les frais existants augmentaient considérablement. Le U.S. Public Interest Research Group (U.S. PIRG, Groupe de recherche sur l'intérêt public américain) a publié, en juillet 1997, les résultats d'une enquête menée auprès de 419 banques dans 29 états qui a révélé qu'à l'échelle de ce pays, les clients paient, pour un compte de chèques dans une grande banque, environ 30 $US de plus par année que dans une petite banque. Une étude menée par la Réserve fédérale a confirmé les constatations du U.S. PIRG.

Les études américaines montrent également que les fusions et les rachats ont des conséquences négatives sur les pratiques de prêt à la petite entreprise. Ainsi, les économistes de la Réserve fédérale Allen Berger et Joseph Scalise, et l'économiste de l'Université de Chicago Anil Kashyrap estiment que les prêts aux petites entreprises continueront de décliner dans les trois ou cinq années à venir comme ils l'ont fait au cours des cinq dernières années (d'environ 33 %), phénomène dû en grande partie à la consolidation du secteur bancaire et à la disparition des petites banques.

Selon une étude de la Réserve fédérale américaine qui s'est intéressée au phénomène des fermetures de succursales bancaires entre 1980 et 1995, les fusions ont également entraîné la fermeture de succursales, surtout dans les quartiers à revenu faible et moyen aux États-Unis. Une étude menée par la National Community Reinvestment Coalition (NCRC) sur la fermeture d'une succursale de Banc One à Indianapolis a permis de constater que la fermeture réduirait les prêts consentis aux emprunteurs du quartier d'un tiers, à cause du manque de concurrence et de l'absence de capacité des personnes du quartier à se rendre à d'autres succursales ou à chercher une possibilité de prêt sur l'Internet.

Un rapport publié en 1994 basé sur les résultats de 39 études portant sur des milliers de fusions et de rachats bancaires aux États-Unis entre 1980 et 1993 signé par l'économiste Stephen Rhoades de la Réserve fédérale conclut que les «constatations pointent fortement vers un manque d'amélioration de l'efficacité ou de la rentabilité à la suite de fusions». Ceci contredit directement les allégations de la Banque Royale et de la Banque de Montréal ainsi que de la Banque CIBC et de la Banque Toronto-Dominion selon lesquelles la fusion entraînerait une amélioration de l'efficacité et de la rentabilité.

Selon un récent reportage à l'émission Venture de la chaîne CBC, il y avait, aux Pays-Bas, il y a quinze ans, plus d'une douzaine de banques de taille moyenne. Maintenant, à la suite de plusieurs fusions et rachats, il n'en reste plus que trois qui contrôlent 85 % du marché des services financiers du pays. Selon une étude commandée par le gouvernement néerlandais, la fusion très récente de l'ABNO et de l'Amro Bank a mené à la perte de 6 000 emplois et a coûté aux consommateurs 280 millions de dollars (Can) en frais de services plus élevés. Un directeur de l'ABNO-Amro Bank, Michael Drabbe, a admis publiquement que la banque a monté ses frais à la suite de la fusion car elle avait le sentiment que le marché pourrait supporter une hausse de prix, les consommateurs ayant moins de choix.

Comme nous l'avons mentionné dans la section précédente, les études menées par l'Institut national de la qualité en 1996 et en 1997 après de plus de 8 000 Canadiens au sujet du degré de satisfaction avec 21 différentes branches de services ont révélé que les banques se classaient, pendant ces deux années, parmi les cinq dernières industries. Une autre révélation de ces études est que les caisses populaires et les sociétés de fiducie occupaient respectivement les troisième et neuvième rangs sur vingt et un, et que seules les entreprises relativement petites (p. ex. pharmacies, petits commerces de détail et restaurants) occupaient des rangs élevés au palmarès de la satisfaction des consommateurs, tandis que les sociétés et prestataires de services d'envergure (grands magasins au détail, câblodistributeurs, Postes Canada, le gouvernement) se retrouvaient en queue de peloton. Globalement, ceci montre clairement que les grandes sociétés (y compris les banques) fournissent des services de qualité moindre aux consommateurs.

Un rapport datant de mars 1998 signé par les économistes de la Banque du Canada Charles Freedman et Clyde Goodlet vient faire écho aux résultats de l'enquête de l'Institut national de la qualité qui concluent que la rentabilité, et non la taille, est le facteur le plus important de succès des prestataires de services financiers. Tel que nous l'avons mentionné précédemment, trois de nos cinq grandes banques comptent parmi les seize banques les plus rentables au monde. Selon le rapport, les économies d'échelle et les économies qui s'en suivent cessent d'augmenter pour les institutions financières à partir d'une certaine taille (que toutes nos banques ont déjà atteinte) et «il est loin d'être évident que les mégabanques mondiales seront les meilleures pour créer un environnement de service efficace, innovateur et souple nécessaire au maintien d'une rentabilité élevée» (p. 21).

Comme les données existantes montrent que des banques de taille plus importante ne sont pas meilleures à bien des égards (service à la clientèle, prix des services, efficacité ou rentabilité), pourquoi devrions-nous laisser nos banques devenir plus grandes, alors que les services qu'elles offrent laissent déjà à désirer?
 

III. Projets de fusion Banque Royale-Banque de Montréal et CIBC-TD : la vérité derrière les allégations des banquiers
 
«La raison avancée est le besoin d'étendre leur emprise sur la scène mondiale et la nécessité d'atteindre une certaine taille pour supporter les technologies requises. Le bien-fondé de ces besoins reste à prouver.»

«À mon avis il ne s'agit que d'une mode.  Quel profit en tirerons-nous? Pas grand chose je crois.»

À l'heure actuelle, les actifs respectifs de la Banque Royale, de la Banque de Montréal (BDM), de la CIBC et de la Banque TD sont supérieurs aux revenus annuels du gouvernement fédéral, et la Banque Royale, la BDM et la CIBC prêtent davantage d'argent que le gouvernement fédéral n'en dépense chaque année.

Ces banques comptent parmi les entreprises canadiennes les plus rentables (en 1997 la Banque Royale enregistrait les profits les plus élevés jamais enregistrés par une société canadienne; la CIBC suivait au second rang). La Banque Royale, la BDM et la CIBC se rangent parmi les 16 banques les plus rentables au monde. Selon Statistique Canada, ces quatre banques ont utilisé leurs profits records au cours des cinq dernières années en partie pour accroître leurs avoirs au Canada en passant de 113 à 326 filiales.

Ces banques ont déjà une présence importante sur la scène mondiale. Selon leurs rapports annuels pour 1997, la Banque Royale et la BDM possèdent ensemble plus de 300 succursales dans 35 pays, ainsi que des placements et des activités dans plus encore. La CIBC exerce ses activités dans 12 pays par l'intermédiaire de services bancaires privés et commerciaux et possède 62 bureaux à travers le monde, grâce à ses activités de services bancaires d'entreprise et d'investissement, tandis que la banque TD possède des filiales dans neuf pays et exerce des activités dans bien plus encore. De plus, ces banques se débrouillent très bien sur ces marchés internationaux. Selon son rapport annuel de 1997, en plus de la Banque Scotia qui est la dixième banque en importance au monde en ce qui a trait ou volume global de crédit consortial avec ses filiales dans 19 pays et des succursales dans plus encore, la CIBC occupe le dixième rang ou mieux pour tous les produits et industries dans le domaine de la finance internationale. De toute évidence, ces banques ne font pas face à la catastrophe si les fusions n'ont pas lieu.

À l'intérieur du Canada :

Si les deux fusions sont approuvées, les deux nouvelles mégabanques contrôleraient 70 % des actifs bancaires au Canada, ce qui correspondrait à un degré de concentration plus élevé que dans tout autre pays du G7. Chaque banque serait plus grande que la banque suivante au Canada, la Banque Scotia (avec 210,7 milliards d'actif, soit 16 % des actifs bancaires totaux au Canada).

Dans l'ensemble, les six grandes banques et leurs filiales contrôlent 74 % du financement accordé en prêts aux entreprises au Canada (voir les tableaux à la section II). Si les banques recevaient l'autorisation de fusionner, les quatre plus grandes banques contrôleraient environ 72 % des prêts à la consommation au Canada. La CIBC-TD aurait la plus grande part du gâteau (43 %) des achats par carte de crédit par volume, la Royale-BDM détenant 37 % du marché; la CIBC-TD détiendrait 70 % du marché canadien des valeurs mobilières à rabais. Dans tous ces domaines, les mégabanques franchiraient le niveau de part du marché de 35 %, et les quatre grandes institutions financières dépasseraient le seuil de 65 % de part du marché à l'échelle nationale, seuil fixé par le Bureau de la concurrence comme base pour remettre en cause une fusion. Dans le domaine des autres services financiers, la part du marché national atteindrait également des niveaux inquiétants, comme par exemple une part de marché de 33,5 % dans le financement des dettes des entreprises dans le cas de la Banque CIBC-TD, et une part de marché combinée d'environ 30 % dans les valeurs à la suite de la combinaison de RBC Dominion Securities Inc. de la Banque Royale et de Nesbitt Burns de la BDM. Vu que le Bureau de la concurrence examine les activités des participants sur 6 000 marchés au pays, il ne fait aucun doute que les parts de marché des banques dépasseront les seuils légaux dans plusieurs marchés locaux et régionaux du pays.

Ces banques (ou au moins leurs p.d.g.) souhaitent faire des placements de plusieurs milliards de dollars dans des fusions, des rachats et des expansions sur le marché international. Pour ce faire, elles soutiennent qu'elles doivent se donner une base de capital plus importante que l'une ou l'autre des banques prise isolément, ce qui rendrait nécessaire la fusion proposée. Pour étayer leur point, le p.d.g. de la Banque Royale John Cleghorn et le p.d.g. de la Banque de Montréal Matthew Barrett ont fait ressortir la compétitivité à l'échelle mondiale et le fait que les sociétés canadiennes faisant affaire à l'extérieur du pays «pourront compter sur un partenaire puissant quand elles soumissionnent pour des gros contrats et des grosses garanties» qui «aideront le Canada à se dépasser».

Cependant, comme nous l'exposions plus haut dans les sections II (a) et (b), il n'y a pas de preuve que nos banques doivent devenir plus grandes pour répondre à nos besoins au Canada ou à l'étranger, et il est également clair qu'elles ne font pas face à une concurrence vive de la part de banques étrangères ou canadiennes. Également, comme nous l'avons établi aux sections (c) et (d), les projets de fusion ne semblent pas présenter d'avantages pour ceux qui fournissent aux banques une source de capital substantielle et bon marché, à savoir les 20 millions d'épargnants qui déposent leur argent à la banque. En fait, une étude menée auprès des petites entreprises a révélé que dans les collectivités canadiennes dans lesquelles quatre banques ou davantage se faisaient concurrence, les frais de services bancaires ont augmenté de 10,8 % entre 1996 et 1997, tandis que dans les localités ne comptant qu'une seule banque, l'augmentation était beaucoup plus importante, à savoir 16,4 % (Source : The Toronto Star, 18 avril 1998).

Étant donné le manque de justification du besoin ou d'avantages associés aux fusions pour les consommateurs, les banques, pour faire avancer leur idée, ont adopté l'argument classique des «retombées positives». Selon elles, il est à l'avantage des Canadiens que les banques connaissent une croissance afin de pouvoir se concentrer et s'engager dans de grands projets outre-mer et dans des investissements dans la grande entreprise, car elles feront d'importants profits sur ces placements, profits qui rejailliront sur les actionnaires sous formes de dividendes plus élevés.

Cependant, en utilisant cet argument des retombées, les banques font fi de plusieurs réalités. D'abord, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, la Banque Scotia, la quatrième banque en importance au Canada, a réussi, malgré sa taille relativement réduite, à devenir la dixième banque au monde en fait de financement des entreprises. Deuxièmement, le fait est établi aux États-Unis que les banques plus grandes imposent des frais de services plus élevés (ce qui touche tout le monde et réduit tout avantage de dividendes plus élevés pour les Canadiens qui détiennent des actions). Troisièmement, les banques ignorent également les risques associés à l'exposition accrue aux gros investissements à l'étranger et les milliards de dollars d'épargne canadienne perdus en prêts consentis à Dome Petroleum, Olympia & York, et plusieurs pays de l'Amérique latine (même si les coûts de la fusion multibanques de plusieurs milliards de dollars en Asie croissent de mois en mois et que les banques canadiennes ont déjà perdu des millions de dollars).

Enfin, les banques ignorent les profits associés à la concentration de l'investissement dans des secteurs créateurs d'emplois ici au Canada, par opposition aux affaires avec les grandes entreprises à l'étranger. Ainsi, les nouvelles mégabanques pourrait investir 2 milliards de dollars dans la fusion de deux grandes sociétés étrangères, et les banques souligneraient les sommes importantes qu'elles (et indirectement les actionnaires de la banque) pourraient réaliser avec une telle transaction. Mais qu'en serait-il si les banques non fusionnées prêtaient 100 000 $ à 20 000 petites et moyennes entreprises canadiennes (ce qui équivaudrait à 2 milliards). En faisant une estimation prudente, chaque entreprise serait en mesure d'embaucher deux personnes; 40 000 emplois seraient ainsi créés, ces employés paieraient des impôts, consommeraient davantage et, s'ils avaient vécu de l'aide sociale auparavant, ils cesseraient d'être un fardeau pour les finances publiques. Il apparaît donc clairement qu'investir 2 milliards dans la petite et moyenne entreprise serait meilleur pour les Canadiens et notre économie.
Certains pourraient rétorquer qu'augmenter les investissements dans la petite et moyenne entreprise (PME) serait trop risqué et moins rentable. Cependant, comme nous l'avons exposé à la section II (c) précédente, pour l'année pour laquelle les grandes banques ont divulgué des statistiques, elles ont perdu plus d'argent avec les prêts aux grandes entreprises qu'avec les prêts aux petites et moyennes entreprises. De plus, les banques n'ont pas divulgué de statistiques montrant que prêter aux PME est moins rentable que de prêter aux grandes entreprises.

De plus, les allégations des banques selon lesquelles les fusions entraîneraient une rentabilité accrue sont fondées sur les estimations des banques elles-mêmes, sur la perspective de fermer des succursales dans les collectivités dans lesquelles les deux banques désireuses de fusionner opèrent présentement (dans 155 collectivités dont la population est inférieure à 20 000 dans le cas de la fusion Banque Royale-BDM) et en supprimant plus de 9 000 emplois (soit 10 % de leur personnel combiné). Selon Larry Wynant, vice-doyen de l'École d'administration Richard Ivey de l'Université Western Ontario, au moins 20 % des 2 552 succursales des deux banques seraient fermées, tandis que Phillip Phan, professeur d'administration à l'École d'administration Schulich de l'Université York, prédit que la moitié des succursales seront fermées (The Globe and Mail, 24 janvier 1998, p. A8).

Bien sûr, la fermeture de succursales ne sera qu'une des causes des pertes d'emplois massives consécutives aux fusions. Les p.d.g. de la Banque Scotia et de la Banque Nationale, avec qui des analystes du domaine se sont entretenus, estiment que contrairement aux allégations des banques candidates à la fusion, jusqu'à 65 000 personnes risqueraient de perdre leurs emplois (ou de subir des «départs involontaires», pour reprendre le mot du p.d.g. de la Banque Royale John Cleghorn à la réunion annuelle des actionnaires de la banque. Ceci équivaudrait au taux de perte d'emploi d'environ 30 % qui a suivi les fusions de banques et de sociétés de fiducie au Canada. Ceci constituerait aussi une perte d'emplois considérable à un moment où le taux de chômage demeure élevé au Canada et que le taux de pauvreté atteint un sommet inégalé depuis 1981.

Il n'est pas surprenant, étant donné l'arrogance que les banquiers ont manifestée à l'égard du gouvernement fédéral et du public, que les p.d.g. John Cleghorn et Matthew Barrett aient modifié leurs estimations du nombre de mises à pied et de succursales devant être fermées lors de leurs réunions annuelles des actionnaires, les deux hommes avançant maintenant qu'aucune succursale ne serait fermée et qu'aucun emploi ne serait perdu. La seule chose que ces affirmations établissent, c'est que les directeurs des banques sont prêts à raconter n'importe quoi pour obtenir ce qu'ils veulent, même au risque de contredire les déclarations passées. Et malgré toutes leurs allégations concernant une amélioration des services à la clientèle, le seul effet positif clairement démontré des fusions est au niveau de la rémunération des membres de la haute direction. C'est ainsi que les neuf principaux directeurs de la CIBC et de la Banque TD récolteraient en avril 1998 des profits théoriques de 142 millions de dollars grâce à l'augmentation des prix des actions des banques consécutive aux fusions bancaires et aux rumeurs d'autres fusions.

Les prétendues «économies d'échelle» que les banques prétendent réaliser avec les fusions ont déjà été créées quand les banques ont lancé des entreprises conjointes pour traiter plusieurs domaines de leurs activités bancaires. Ainsi, en juillet 1996, la Banque Royale, la Banque de Montréal et la Banque Toronto-Dominion ont annoncé une entreprise conjointe qui combine le traitement des articles (chèques, etc.) tandis que la CIBC et la Banque Scotia ont annoncé la formation d'une filiale conjointe qui traiterait la majorité de leurs opérations effectuées dans les coulisses. Les banques ont prédit des économies de 15 % du coût de ces opérations, ou 60 millions pour la première entreprise conjointe et 100 millions pour la deuxième (The Globe and Mail, 25 juillet 1996, p. B1). Il n'est pas surprenant que les pertes d'emplois entraînées par ces entreprises conjointes n'aient pas été révélées par les banques, bien qu'au moment des avis, 30 % du nombre total d'emplois auraient été touchés.

En ce qui a trait aux services à la clientèle et à la petite entreprise, les fusions réduirait un choix déjà limité (le Canada a déjà un des secteurs bancaires les plus concentrés du monde industrialisé). Comme nous l'avons établi plus haut, plusieurs succursales seront fermées, ce qui limitera le choix du consommateur dans ces petits marchés locaux. Également, les deux mégabanques auraient deux fois plus d'actifs et deux fois plus de clients que la banque canadienne immédiatement plus petite. Par conséquent, les mégabanques auraient la latitude d'agir unilatéralement en poussant les prix et services dans toute direction qui leur semblerait bonne, probablement au détriment des consommateurs et des petites entreprises, comme cela s'est vu aux États-Unis et aux Pays-Bas.

Les fusions réduirait aussi considérablement la concurrence en encourageant et en facilitant les activités interdépendantes entre les mégabanques et les autres banques, entre les autres banques et les autres institutions financières. Selon le Bureau de la concurrence du Canada, bon nombre des banques nationales canadiennes coopèrent déjà pour ce qui est de différentes opérations effectuées «dans les coulisses», ce qui, avec l'existence de l'Association des banquiers canadiens, la transparence des prix dans le secteur bancaire canadien, la stabilité relative des coûts sous-jacents, les ventes fréquentes de produits et la participation des banques à des marchés multiples, ne fait qu'accroître la probabilité d'une coopération allant à l'encontre de la concurrence.

Les mégabanques Royale-BDM et CIBC-TD seraient en mesure d'utiliser leur taille (elles se situeraient toutes deux parmi les 25 plus grandes banques au monde) essentiellement pour forcer les autres institutions financières canadiennes à coopérer avec elles dans l'offre de produits et services, et les autres banques chercheraient également des ententes avec les autres institutions financières pour protéger leur part du marché. De plus, étant donné la protection dont jouit le marché bancaire national, il est peu probable qu'une concurrence nouvelle ou accrue de la part des banques étrangères puisse contrer cette consolidation et les activités interdépendantes à un moment quelconque dans l'avenir (et certainement pas dans les cinq années à venir).

Finalement, les deux banques sous-estiment la complexité et les coûts associés au processus de fusion. Comme l'expérience des fusions précédentes le montre, cela prendrait plusieurs années pour réaliser les fusions projetées au Canada. Doug Peters, ancien Secrétaire d'État (Institutions financières internationales) a affirmé récemment que lorsqu'il s'est joint à la Banque Toronto-Dominion en 1966, celle-ci en était toujours à solutionner les problèmes créés par la fusion de la banque de Toronto et de la Dominion Bank réalisée 12 ans auparavant. En 1997, la banque Wells Fargo de Californie a remboursé l'argent déposé par les déposants et placé dans des comptes erronés en raison de problèmes d'informatique causés par une fusion avec une autre banque californienne, la First Interstate.

Même si les données actuelles démontrent clairement que les fusions proposées Banque Royale-Banque de Montréal d'une part et CIBC-TD d'autre part ne sont pas dans l'intérêt public et qu'elles devraient être interdites, des éléments d'information clés manquent pour évaluer pleinement plusieurs aspects des fusions, dont le rendement actuel de deux banques au chapitre de la satisfaction des besoins des consommateurs et des petites entreprises dans les collectivités canadiennes. Le système américain d'imputabilité bancaire, exposé plus loin à la section IV, fournit un modèle très contraignant et très viable pour la cueillette d'information clé et pour l'examen du niveau de service fourni par les banques et les autres institutions financières.

IV. Le système d'imputabilité bancaire américain : un modèle pour le Canada
Il est essentiel que le rendement des institutions financières, notamment dans un contexte d'une expansion des pouvoirs ou de transactions comme les fusions ou les rachats, soit examiné quant à l'accessibilité des services pour les gens à faible revenu, à la disponibilité du capital pour les petites entreprises, à l'écoute des besoins de la collectivité et à d'autres questions intéressant les consommateurs. Autrement, comment se fait-il que quiconque puisse prouver qu'une telle augmentation des pouvoirs ou que de telles transactions procurent des avantages aux clients, la question clé qui devrait nous intéresser tous?

Aux États-Unis, en vertu de la Loi sur le réinvestissement communautaire (Community Reinvestment Act, CRA), quand une banque souhaite prendre de l'expansion d'une façon ou d'une autre (par une fusion, une acquisition, en ouvrant une nouvelle succursale ou en implantant un nouveau guichet automatique), le dossier de cette banque au chapitre des prêts, des placements et de la prestation de services est examiné par les régulateurs. Les groupes de citoyens ont un droit de regard dans ces examens et peuvent faire valoir leurs points de vue sur le dossier de la banque dans ces domaines. Fait important, les régulateurs peuvent refuser d'accorder le droit d'expansion s'ils en arrivent à la conclusion que le dossier de la banque laisse à désirer.

Les critères utilisés dans le processus d'évaluation aux États-Unis pourraient parfaitement être repris par un processus d'approbation canadien. L'évaluation américaine est basée sur l'information établie dans un rapport remis aux régulateurs. Malheureusement, les banques à charte canadiennes ne sont pas présentement tenues de divulguer le même niveau d'information que leurs homologues américaines. Curieusement cependant, la Banque de Montréal et la Banque Toronto-Dominion connaissent toutes deux très bien les exigences américaines en raison du processus auquel elles ont dû se soumettre et qui leur a permis de faire l'acquisition d'institutions financières américaines. La Banque de Montréal et la Banque TD entrevoyaient réaliser des profits intéressants avec ces filiales américaines, ce qui soulève de nouveau la question de savoir pourquoi elles résisteraient, comme elles l'ont fait jusqu'à maintenant, à la mise en place d'exigences semblables ici au Canada.

Ainsi, avant que la Banque de Montréal ait pu procéder à une expansion sous la forme de sa filiale, la Harris Bank de Chicago en 1994, la Harris Bank a dû améliorer son piètre dossier au chapitre des prêts et des services, dossier qui avait été révélé grâce à la divulgation des données en vertu de la CRA. La banque est parvenue à améliorer son dossier en accordant des crédits de 327 millions et de l'aide sur cinq ans sous forme d'aide à l'accès au logement abordable et de prêts à la petite entreprise et dans la satisfaction d'autres besoins des collectivités dans la région de Chicago. En 1996, quand la Banque Toronto-Dominion s'est mise en frais de faire l'acquisition de la Waterhouse Securities de New York et de sa filiale, la Waterhouse National Bank (WNB), le rachat a été remis en question parce que la Waterhouse n'assurait aucun service aux personnes à faible et à moyen revenu. La Banque TD a dû élaborer un plan de redressement sur cinq ans pour corriger la piètre qualité des services rendus par la WNB aux consommateurs.

Dans l'ensemble des États-Unis, grâce à la CRA, le rendement insuffisant des institutions financières au chapitre des services rendus à certaines collectivités a été mis à jour, et ces institutions ont investi 435 milliards dans ces collectivités pour corriger leur piètre dossier.
Une grande partie du malaise engendré par les projets de fusion entre la Banque Royale et la Banque de Montréal, et CIBC-TD traduit en fait l'impression que les banques ne sont pas très transparentes dans leurs activités face aux collectivités canadiennes, aux petites entreprises et aux clients individuels; les preuves abondent que dans l'ensemble, elles rendent de mauvais services. En cette période de chômage qui se prolonge au Canada, la perte de milliers d'emplois à la suite d'une fusion est également une source sérieuse de préoccupation.

Il est temps que le gouvernement fédéral légifère dans le sens d'un système de divulgation et d'examen, lequel serait basé sur le système américain, vieux de 20 ans, afin de contraindre nos banques à assurer un niveau de service de qualité. En particulier, comme aux États-Unis, un tel système devrait empêcher une banque de croître si elle ne satisfait pas déjà les besoins des collectivités dans laquelle elle déploie ses activités ou si l'expansion projetée aurait des conséquences négatives sur le service à la clientèle et sur l'économie canadienne dans son ensemble.
 

V. Recommandations de la CCRC : Les critères que le gouvernement devrait appliquer dans l'examen des fusions et des rachats d'institutions financières
Pour déterminer si les banques canadiennes sont bien au service des Canadiens et de l'économie canadienne, et surtout pour empêcher l'expansion du pouvoir des banques ainsi que les fusions et rachats d'institutions financières qui ne servent pas l'intérêt public, la CCRC formule 16 recommandations. Celles-ci sont inspirées du système américain décrit plus haut, lequel a prouvé son efficacité depuis 20 ans (pour de plus amples renseignements sur le système consulter le cinquième exposé de position de la CCRC intitulé Un système d'imputabilité pour les institutions financières canadiennes : s'assurer qu'elles satisfont à des normes élevées, publié en décembre 1997).

Le ministre des Finances Paul Martin appuie clairement les principes du système américain, et il a mis au défi la Banque Royale et la Banque de Montréal «de réduire les frais imposés aux consommateurs, de garantir qu'il n'y aura pas de perte d'emplois, de garantir que toutes les petites et moyennes entreprises et que les petites localités de ce pays profiteront de cette fusion» (The Globe and Mail, 27 janvier 1998, p. A1). Tous les facteurs qu'il énumère sont pris en charge par le système américain.

Il n'est que seyant que le ministre Martin endosse les principes du système américain, étant donné qu'au congrès d'orientation politique national du parti libéral dÕoctobre 1996 tenu à Ottawa, les résolutions prioritaires proposées par trois associations provinciales du parti ont été adoptées par plus de 2 000 délégués de tout le Canada. Renforçant les affirmations du ministre Martin et la citation du Premier Ministre Chrétien au début du présent exposé de position, les résolutions proposaient qu'on promulgue au Canada des lois inspirées de celles existant aux États-Unis (la législation américaine a été mentionnée nommément dans l'une des résolutions).

La plate-forme électorale des Libéraux en 1997 affirme également qu'en plus d'accroître la base de capital et la capacité de prêter des institutions financières de la Couronne telles que la Banque de développement du Canada et la Société du crédit agricole (qui se concentrent sur les prêts à la petite entreprise), les Libéraux «faciliteront le dialogue entre le secteur à but non lucratif et les institutions financières sur des façons concrètes de faire la promotion du développement économique communautaire, y compris par des initiatives de microprêts».
Se penchant sur les mêmes questions, la plate-forme des Conservateurs pour l'élection fédérale de 1997 s'engageait à exiger des banques qu'elles rendent publics des rapports détaillés sur les pratiques en matière de prêts aux petites entreprises sur une base régionale afin «de permettre aux Canadiens de comparer le rendement et l'engagement de leurs institutions financières envers la création d'un capital de prêt pour les nouvelles et petites entreprises.» Les plates-formes électorales du NPD et du Bloc Québécois contenaient des propositions semblables, allant dans le sens de la divulgation des données sur les pratiques des banques en matière de prêt ainsi qu'un engagement à promulguer des lois contraignant les banques à réinvestir dans les collectivités et dans les entreprises créatrices d'emplois, au cas où les données révéleraient que les banques ne répondent pas aux besoins légitimes en capital des collectivités.

Ce consensus autour de la mise en place d'un système de divulgation et d'examen inspiré du système américain est particulièrement approprié maintenant étant donné que le rendement des filiales américaines de la Banque de Montréal et de la Banque Toronto-Dominion sera examiné par le gouvernement américain à la suite des propositions de fusion de la Banque Royale et de la CIBC. Cet examen mettra à jour la nette différence entre le degré d'imputabilité des banques des États-Unis et du Canada, car les filiales américaines feront face à un examen détaillé de leurs pratiques passées en matière de prêt, de placements et de services, telles que révélées au gouvernement fédéral, alors que les banques canadiennes, si l'on utilise le système actuel, feront face à un examen sommaire basé sur la quantité très limitée d'information qu'elles rendent publique.

Les recommandations exposées plus loin sont également fondées sur les résultats de deux sondages indépendants menés à l'échelle nationale au cours des derniers mois au sujet des projets de fusion bancaire. Une étude menée en février par POLLARA auprès de 1 200 Canadiens a révélé que seulement six pour cent des répondants appuyaient sans réserve la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal, tandis que 55 % des répondants se sont exprimés contre la proposition de fusion. Une étude menée auprès de 2 306 personnes par la firme Environics en mars et avril a permis de constater que 35 % des répondants pensaient qu'il n'y aurait pas d'avantages à la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal, et que 76 % estimaient que la fusion entraînerait des résultats négatifs.

Compte tenu de toutes les preuves mentionnées plus haut sur l'augmentation du pouvoir des banques canadiennes sans augmentation du degré d'imputabilité envers les consommateurs, les entreprises et les collectivités du pays, ainsi que de l'opposition aux fusions et du vaste appui en faveur de la mise en place d'un système d'imputabilité au Canada (notamment pour les examens des augmentations proposées des pouvoirs des banques ou des fusions et rachats par les banques d'autres institutions financières, la CCRC formule les recommandations suivantes :

De plus, comme cela a été évoqué dans les autres exposés de position de la CCRC, les banques et les autres institutions financières, y compris les institutions financières étrangères ayant des activités au Canada, devraient être tenues de :

Ces mesures s'inspirent généralement des processus en place dans d'autres juridictions, y compris des juridictions où les banques canadiennes ont des avoirs.

Combinées aux divulgations d'information et aux examens de rendement évoqués plus haut, ces mesures constituent une façon raisonnable d'exiger des banques et des autres institutions financières qu'elles observent des normes de rendement élevées dans la prestation de services aux consommateurs, aux petites entreprises et aux collectivités à la grandeur du Canada et de s'assurer que les expansions des pouvoirs des banques ainsi que les fusions et rachats d'institutions financières soient interdits quand elles ne servent pas l'intérêt public.

   


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